Par Alain Damasio – «Chasse aux sans-papiers», «dénonciation», «expulsion», «statistiques ethniques», «rafles», «interpellations de journalistes», «perquisitions», «offense au président de la République», «enfermement des mineurs», «pressions sur les avocats», «privatisation des prisons», «suppression du juge d’instruction», «test ADN», «Base élèves», «fichiers de police». Vous n’êtes pas en train de lire le dernier rapport d’Amnesty international sur le Congo. Vous êtes bien dans la section France du journal. Inspirez, expirez, vous êtes sous narcose Sarkozy. On va vous aider et aérer la chambre. Car ça continue comme ça sur 89 rubriques dans un abécédaire rigoureux et factuel, intitulé La France en libertés surveillées. Le livre a été écrit par le PS.
Il est sorti hier matin, par la bouche – osons la gueule – de Martine Aubry, qui en a découpé, devant une presse carnivore, les principaux morceaux de choix. «Un tract !» a aussitôt aboyé le caniche Copé, sifflé par son maître. Je dirais plutôt un acte, plus citoyen que politique, qui met enfin, après vingt mois d’activisme sarkozyste, «la France d’après» devant son miroir.
Le visage de Marianne est marqué, autant vous le dire. Ça sent la rafale de bourre-pifs ! Vous le saviez ? A peu près ? Moi aussi. Je «savais» pour les rafles répétées aux abords des écoles, je «savais» pour le contrôle actif des médias, la garde à vue de 144 heures pour les présumés terroristes, je «savais» pour l’internement d’office des schizophrènes… Pourtant, sous les salves, le crépitement des mesures, encore fallait-il dégager le plan d’ensemble. Le voici : ce livre «vise à décrypter ce qu’est le sarkozysme, cette certaine idée des libertés publiques, en mettant en lumière un triptyque ravageur : le traitement répressif de la précarité, l’étouffement généralisé des contre-pouvoirs et l’instauration d’une société de surveillance».
Dans ma tête, Michel Foucault agite son Surveiller et punir avec ses trois grands dispositifs de pouvoir : féodal, disciplinaire et normatif. Sarkozy, habilement, les réunit et les concentre. Ça doit être instinctif. «Personne n’a une connaissance totale de tout ce qui est en train de se passer», insiste Aubry. L’expression orale est fluide, sereine, la sincérité tangible sous l’exercice médiatique. Derrière elle, la tenture rouge siglée du poing à la rose vaut comme une boîte virtuelle qui indique que, de cet exposé, la machine visuelle abstrait déjà ses formats. Trente secondes, réponse courte. On devine ce qui restera de cette analyse argumentée : l’attaque politique, la petite phrase – et à ça, Aubry ne se plie pas, ou guère. C’est sa noblesse, sa limite aussi. Sa mise en scène est minimale, «ringarde» pour un photographe. Elle est tout simplement sobre, pas inélégante, là où l’empire du format la voudrait… royale et, au sens fort, «vulgarisée».
Elle se tient loin du populisme pénal de Sarkozy. La peine plancher par exemple : «Réponse simpliste à des actes graves et souvent complexes», rappelle-t-elle. Ou la rétention de sûreté qui nie un principe crucial de notre droit selon lequel tout individu n’est «responsable que des actes qu’il a commis, et non de ceux qu’il serait susceptible de commettre». Les militants de Tarnac apprécieront. La séance s’achève. Questions. Aubry rêve d’une «France douce». Les journalistes l’interrogent sur Total, le téléchargement, Benoît Hamon, l’Europe ou l’Otan. Les libertés publiques ? Ce n’est pas «chaud» apparemment. Le bouquin est déjà dans leur sac, plein de prostituées, d’homos, d’étrangers, de mineurs et de ravers, de clochards et de magistrats. Tous stigmatisés, tôt ou tard, normalisés ou punis au nom de notre Sécurité. «C’est donc bien l’impossibilité pour chaque citoyen de s’émanciper, de rompre avec les inégalités de destin et, plus largement, de “faire société” qui est contestée par la politique sarkozyenne» , dit joliment l’intro. L’intro ? Ben oui : il nous reste encore trois ans. Ou huit…
Alain Damasio pour Libération