Tiens, Steven Gerrard prend sa retraite. Le capitaine emblématique des Reds aura accompli 17 saisons sous le maillot rouge de Liverpool, son club de toujours. Une fidélité rare dans le sport de haut niveau, et une légende du football anglais, dont je garderai deux souvenirs :
- la folle et incroyable finale de la Ligue de Champions en 2005, remportée par Liverpool aux tirs aux buts après avoir été mené 3-0 ;
- une chronique de François Bégaudeau (l’auteur/acteur d’Entre les murs), parue dans les colonnes du Monde en janvier 2009. Steven Gerrard venait d’être convoqué au tribunal pour une baston dans un bar…
Une chronique résolument anti-hygiénisme, que j’avais à l’époque publiée sur le feu-forum de ce site, où il me fut reproché de promouvoir l’esthétisme sportif et à travers lui, tous les excès du sport de compétition, “outil pour apaiser, doper, ou émerveiller le peuple…” – l’auteur se reconnaitra certainement
Pourtant, la chronique parle bien moins de football que de relâchement et de cool attitude, quelque chose qu’en impro on appelle le “lâcher-prise”… Ce petit truc qui permet aux artistes – musiciens, comédiens, danseurs, poètes, écrivains, photographes, dessinateurs, sculpteurs, sportifs… – de se sublimer, de prendre du plaisir, et d’en donner !
Un peu de swing, les enfants
Une chronique de François Bégaudeau parue sur lemonde.fr, le 26.01.09
Sans attendre le verdict du procès prévu pour mars, réjouissons-nous des déboires judiciaires de Steven Gerrard, qui comparaissait vendredi pour faits de baston. Non par ressentiment plébéien (plaisir de voir un seigneur en piteuse posture) ou pulsion répressive (plaisir de voir la force revenir à la loi, comme disait le regretté Charles Pasqua). Le contraire. Plaisir du désordre. Plaisir d’imaginer Gerrard débarquer en boîte le 29 décembre 2008, régaler tout le monde pour fêter la branlée foutue à Newcastle l’après-midi même, demander au DJ de passer Two Become One des Spice girls (on invente mais on adore l’idée), rigoler jaune d’un refus dudit, puis s’assombrir soudain pour lui sauter à la gorge au-dessus du comptoir, bientôt retenu par ses deux compagnons de bière soucieux de corriger eux-mêmes le type qui n’a pas l’heur d’aimer les Spice Girls.
Plaisir de se voir confirmer qu’un grand joueur n’est pas un gendre idéal, que le talent d’exception est amoral. Zidane est une teigne, Maradona un castriste cocaïné, Ronaldinho est réputé chaud lapin. Ce n’est pas bien de boire comme un trou, ce n’est pas bien de taper sur un DJ ou sur un Materazzi, ce n’est pas bien de sniffer avec Fidel, mais cela ajoute une nuance piquante au tableau que compose la somme des apparitions d’un footballeur. Qu’en décembre un Govou se fasse arrêter au volant avec 2,8 grammes, qu’un Diego essuie une mésaventure semblable du côté de Brême, voilà qui attriste légitimement leurs parents respectifs mais réjouit, oui oui, le spectateur las de l’hygiénisme qui sévit dans le sport.
Depuis le village olympique de Pékin, Christine Arron s’étonnait de voir les sprinters américains se gaver quotidiennement de junk food à base de hamburgers et de potatoes. Beaucoup plus équilibrée et bien moins performante, la pauvre ne savait plus à quel saint de la médecine du sport se vouer. Car de deux choses l’une : ou bien ces sprinters dominent malgré leur bouffe contre-indiquée, et alors l’infériorité de Christine s’en trouve redoublée et encore plus humiliante ; ou bien leurs performances prouvent que la rigueur diététique c’est de la connerie, et alors Christine doit pleurer à la fois son échec et les sacrifices inutiles consentis pour un si pauvre dénouement. Si elle avait su, elle aurait englouti des tombereaux de McChicken.
Allons plus loin. Et si les sprinters américains étaient performants, non pas malgré mais grâce à leur désinvolture alimentaire ? On n’ira pas jusqu’à affirmer qu’une hygiène de vie irréprochable nuit à la santé, mais disons qu’elle vous communique une sorte de rigide droiture qui vous déshabitue au relâchement propice à l’exécution du geste sportif, à sa splendeur cool, à son swing. Les footballeurs anglais baignent dans le rock, la bière, et arrivent au stade une heure avant le match en sifflant de l’Oasis. C’est une condition socioculturelle, qui est la condition de leur génie. Celui d’un Gascoigne ou d’un Gerrard.