J’avais le pavé à portée de la main depuis plusieurs mois, prêté par un ami qui n’arrêtait pas de me demander si je l’avais lu. Aujourd’hui, c’est fait et j’ai pris une bonne grosse claque, comme lorsque j’avais lu Les guerres scélérates, il y a quelques années. Il y a d’ailleurs de nombreux points communs entre ces deux essais, dans la dénonciation du rôle joué par l’administration américaine et la CIA pour déstabiliser des régimes démocratiquement élus, et permettre le développement d’une économie ultra-libérale, au détriment de la sphère publique…
Qu’y a-t-il de commun entre le coup d’état de Pinochet au Chili en 1973, le massacre de la place Tiananmen en 1989, l’effondrement de l’Union soviétique, le naufrage de l’épopée Solidarnosc en Pologne, les difficultés rencontrées par Mandela dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les attentats du 11 septembre, la guerre en Irak, le tsunami qui dévasta les côtes du Sri Lanka en 2004, le cyclone Katrina, l’année suivante, la pratique de la torture partout et en tous lieux – Abou Ghraïb ou Guantànamo – aujourd’hui ? Tous ces moments de notre histoire récente, répond Naomi Klein, ont partie liée avec l’avènement d’un “capitalisme du désastre”. Approfondissant la réflexion militante entamée avec son best-seller No Logo, Naomi Klein dénonce, dans La stratégie du choc, l’existence d’opérations concertées clans le but d’assurer la prise de contrôle de la planète par les tenants d’un ultralibéralisme tout-puissant. Ce dernier met sciemment à contribution crises et désastres pour substituer aux valeurs démocratiques, auxquelles les sociétés aspirent, la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation. Remarquablement conduite et documentée, cette histoire secrète du libre marché, qui dessine une nouvelle éthique de l’investigation journalistique, s’affirme comme une lecture indispensable pour réévaluer les enjeux des temps présent et à venir, vis-à-vis desquels les citoyens du monde portent, ensemble, une responsabilité impossible à déléguer. (présentation de l’éditeur)
L’essai commence par s’intéresser aux recherches menées par Donald Ewen Cameron sur les traitements par électrochocs et le lavage de cerveau, financées par la CIA dans les années 50-60. L’objectif était de détruire la personnalité des patients pour obtenir une “page blanche”, et formater ainsi un nouvel individu.
L’auteur soutient alors que le même schéma (choc, “page blanche”, reconstruction) a été utilisé pour imposer des réformes économiques ultra-libérales dans des états fragilisés par une catastrophe naturelle ou un événement politique majeur (guerre, attentat, coup d’état). Réformes qui n’auraient jamais abouties sans le “choc” initial, qui atténue la vigilance des sociétés…
Derrière cette stratégie, un économiste, Milton Friedman, et une école, l’Université de Chicago, avec ses célèbres Chicago Boys (à ne pas confondre avec les Chicago Bulls, nettement plus sympathiques). Mais aussi des politiques qui suivent à la lettre les recommandations de Milton Friedman : Pinochet au Chili, Thatcher en Grande-Bretagne, Reagan aux États-Unis (la fameuse vague libérale des années 80 évoquée dans DOL, de Philippe Squarzoni)…
Ce livre éclaire aussi les décisions politiques et économiques mises en œuvre lors d’événements très récents : les attentats du 11 septembre 2001, l’invasion de l’Irak en 2003, l’ouragan Katrina aux États-Unis et le tsunami de 2004 en Indonésie…
On sort de ce bouquin bien ébranlé, en espérant comme l’auteur que la stratégie a atteint ses limites et que désormais, même en cas de désastre, la vigilance citoyenne et démocratique saura résister à la dictature des marchés et des Chicago Boys…