Pour leurs trente ans, certains réunissent tous leurs amis à l’occasion d’une grande fête, d’autres se cachent pour pleurer sur leurs belles années envolées, d’autres encore ne prévoient rien pour marquer le coup et choisissent d’aller voir Mylène en concert comme si de rien n’était (n’est-ce pas Lolo ?). Moi, l’année de mes trente ans, je me suis offert un exil volontaire en Afrique pour accomplir le voyage de ma vie, pendant un an.
Le 11 mars 2003, j’étais au Burkina Faso, en plein cœur de mon rêve africain, en train de faire bouger mon existence, de découvrir, de respirer, de rencontrer…La veille de mon anniversaire, j’avais passé la soirée à “la Bâche bleue”, une petite guinguette de Koudougou, avec l’ami Ouango et mon collègue Moussa, l’instituteur. On avait fini bien au delà de minuit en enchaînant les tournées de Castel (3 bouteilles de 65 cl, ça fait quand même 2 litres de bière dans le gosier…) pour fêter mes trentes glorieuses.
Le lendemain au réveil, j’avais donc trente ans – et une casquette plombée sur le crâne. J’avais mis le réveil à six heures du matin, parce qu’en guise de cadeau, je voulais retourner dans le village de brousse de Semaga (où j’avais déjà passé trois jours inoubliables avec les cousines) et il fallait partir tôt pour éviter la chaleur.
Ah, Semaga… l’Afrique la plus profonde que j’ai rencontrée, la plus difficile et la plus incroyable aussi ! J’avoue, la brousse, ce n’est pas franchement l’extase tout le temps. Non, ce n’est pas “agréable” de dormir sur une natte à même le sol, pas plus que de manger du tô (le plat quotidien national à base de mil) ou du riz gras à tous les repas, pas plus que de se rafraîchir avec une bière à 35°, d’affronter pendant 4 jours l’harmattan et la poussière de la brousse, et de rentrer se doucher le soir avec un seau au-dessus de la fosse septique de la concession… Non ce n’est pas agréable, mais comme dit un proverbe africain, “on ne peut pas courir et se gratter le cul en même temps” ! Autrement dit, on ne peut pas prétendre découvrir la réalité de la vie en brousse sans partager le vrai quotidien des africains. Ce n’est pas agréable, mais cela permet alors de découvrir une Afrique incroyable…
Semaga c’est aussi un peu le trou du cul de l’Afrique, il ne faut pas être regardant sur le confort pour dénicher un véhicule qui accepte de prendre la piste. Le seul engin que j’ai trouvé dans mes moyens, c’était une “mobylette-brousse” avec chauffeur ! J’ai ainsi effectué la plus grande balade en “brel” de ma vie (même à 15 ans je faisais pas autant de bornes avec ma 103), 65 kilomètres d’une piste bosselée et poussièreuse, le tout sur le porte-bagages… je vous laisse imaginer l’état de mon postérieur à l’arrivée.
Au bout de 35 kilomètres, à force de supporter deux passagers et une réserve de douze litres d’eau minérale, le pneu arrière a rendu l’âme et Guillaume, mon chauffeur burkinabé a semblé un peu étonné que ça arrive !…Par chance, nous étions à l’entrée d’un village, et nous avons vite repéré un “garage” (une petite cabane entourée de pneus usagés) qui faisait également office de station service (un étalage de bouteilles en verre remplies d’essence).
Pendant le temps de la réparation, les gamins du village de Pouni se sont approchés, toujours amusés et étonnés de voir un blanc échoué dans leur environnement. Le contact s’est établi assez facilement puisque quelques enfants comprenaient très bien le français, très vite j’ai dégainé le magnéto et les enfants se sont prêtés au jeu en enchaînant les chansons chacun à leur tour, ou tous ensemble.Une petite heure de chants et de rires plus tard, je reprenais ma place sur le porte-bagages pour les trente derniers kilomètres, sans oublier de saluer les enfants de Pouni.
Arrivés à Dydir, l’ami Valentin venait nous accueillir. Je remerciais Guillaume en lui payant mon dû. Et dire qu’il avait le même trajet à faire pour rentrer !
J’ai pris place sur la moto de Valentin (nettement plus confortable) pour accomplir les derniers kilomètres jusqu’à Semaga. Le temps de poser mes petites affaires et de saluer la famille, nous voilà partis pour le marché de brousse.
A peine garés, les anciens surgissent de toutes parts pour saluer “le blanc”, pour me serrer la main avec un immense sourire. Ils ont 50 ou 60 ans, ils en paraissent le double, tout est délabré chez eux… mais ils ont gardé une lueur incroyable dans le regard, et un sourire très touchant malgré l’état de leur dentition
Plus loin, je me retrouve invité à partager une calebasse de dolo, la bière de mil. Et boire le dolo avec les anciens au marché de Semaga, c’est un peu comme boire le p’tit blanc le dimanche matin avec les vieux dans un bistrot de nos campagnes… C’est romantique, émouvant, désuet comme une photo sépia. D’ailleurs, quand on sort l’appareil, les anciens n’hésitent pas à se bousculer – pire que les gosses de l’école – pour prendre la pose et être sur le cliché !
Nous avons quitté le marché. A la nuit tombée, le vieux Bado s’est déplacé pour saluer ma présence dans le village, en disant à ses compatriotes plus jeunes : “vous vous rendez compte, un étranger qui vient de si loin jusque dans notre village ! Il faut en prendre soin…”
Un sourire au coin des lèvres, j’ai regardé longtemps les étoiles si nombreuses dans ce ciel africain. J’étais bien…
Trente ans, trente ans, l’âge mûr (…)
C’est ton âge, faut pas que tu pleures,
Mon pauvre Toto, trente ans, rien qu’du malheur…
(Alain Souchon)
Rien qu’du malheur ? Mais non Alain, au contraire… que du bonheur !!
J’ai eu trente ans, je suis content, bonsoir…
(Maxime le Forestier)