L’homme ordinaire

Selon les chansons, l’homme peut être réellement extraordinaire ou banalement ordinaire. Mais l’homme ordinaire de M.Roux, le salaud exemplaire, est probablement le spécimen le plus inquiétant…
Portrait d'un homme à la fenêtre (CC-BY)

Portrait d’un homme à la fenêtre (CC-BY)

Il y a quelques années, les Innocents avaient réalisé l’un de leurs plus grands tubes avec une chanson intitulée Un homme extraordinaire. L’homme extraordinaire était alors un simple père de famille, comblant ses enfants de patience et d’amour… “tombé dans l’oubli” car n’ayant jamais eu les honneurs de la une d’aucun journal.

On se souviendra
de ceux qui commettent un crime, un jour
de tous ces chasseurs de primes
et puis, d’oublier la vie
d’un homme extraordinaire…

En 2008, ce bon père de famille est à nouveau à l’honneur d’une chanson signée M. Roux et intitulée…  l’homme ordinaire. Un homme ordinaire, exemplaire à bien des égards, mais qui avoue petit à petit ses faiblesses, ses lâchetés et révèle au monde sa pourriture.

Cet individu “exemplaire” dont M. Roux raconte la vie, André Comte Sponville (encore lui) en parle également (ou plutôt de son cousin) sous la dénomination du “salaud légaliste”.

Imaginez un individu parfaitement respectueux de la légalité du pays dans lequel il vit, qui ferait toujours tout ce que la loi impose, qui ne ferait jamais ce que la loi interdit – le parfait légaliste. Mais qui s’en tiendrait à cette unique détermination. Et essayons de voir ce qu’il pourrait en advenir…

– Aucune loi n’interdit le mensonge – sauf dans quelques circonstances, par exemple commerciales ou contractuelles, particulières. Cela peut dépendre de la fonction qu’on exerce. Peut-être arrive-t-il à tel ou tel d’entre-vous, s’il vient à mentir dans le cadre de son métier, de violer aussi, par là même, telle ou telle loi. Je ne sais pas ; je ne veux pas le savoir. Mais je sais que moi, lorsque je mens (ce qui m’arrive rarement, mais qui peut m’arriver comme à tout le monde), je ne viole aucune loi.
– Aucune loi n’interdit l’égoïsme.
– Aucune loi n’interdit la mépris.
– Aucune loi n’interdit la haine.
– Aucune loi n’interdit la méchanceté.

Si bien que notre individu parfaitement légaliste pourra, en toute légalité républicaine, être menteur, égoïste, plein de haine, en un mot méchant. Qu’est-ce que sera d’autre qu’un salaud légaliste ? (…)

Si nous voulons, individuellement, échapper à ce spectre du salaud légaliste, nous devons donc trouver autre chose afin de faire que tout ce qui est techniquement possible et légalement autorisé ne soit pas fait pour autant.

(André Comte-Sponville, Le capitalisme est-il moral ?)

Et donc, vous l’aurez compris, si nous n’avons pas le droit d’être des salauds légalistes, ce n’est pas pour des raisons juridiques ou politiques, c’est pour des raisons morales.

Finalement, c’est très utile la morale – et même rassurant. Parce qu’il faut bien l’avouer, ça fait bien flipper de vivre entouré d’hommes ordinaires et de salauds légalistes…

Crédit image : Le jour ni l’heure – Portrait d’un homme à la fenêtre, by Renaud Camus – via Flickr (CC-BY)