Sophie, professeur de français en collège-lycée et militante CNT décrypte la réforme Chatel.
Ce qu’on nous fait croire…
Les sondages pleuvent et les médias s’en font le relais peu objectif : 76 % des parents seraient favorables à la réforme Chatel ! Mais si on regarde le sondage commandé par le gouvernement, on relève très vite que seuls 16 % des parents affirment savoir précisément de quoi il s’agit ! Comment, en effet, et sans éclairage supplémentaire, ne pas être favorable à un dispositif joliment appelé « Accompagnement personnalisé » ? Comment ne pas se réjouir d’un dispositif de stage susceptible d’enrailler la logique d’échec de la majorité des redoublements ? Comment ne pas se féliciter du souci affiché de mieux orienter les élèves, de leur offrir plus de choix ? Comment ne pas tomber d’accord, en définitive, sur la nécessité de repenser le temps scolaire et d’alléger les journées très chargées des élèves ?
Ce qu’il en est vraiment
Derrière la belle appellation « d’accompagnement personnalisé », se cachent deux heures … en classe entière !! Ces heures seront animées par un professeur pas nécessairement connu des élèves, censé pourtant répondre tous azimuts à une trentaine de demandes et difficultés différentes ! A cela s’ajoute que ces deux heures viennent se substituer à deux heures de cours véritable ! Si le ministère voulait véritablement personnaliser la pédagogie, pourquoi supprimerait-il le cadre national des dédoublements, si importants aujourd’hui pour répondre plus précisément aux difficultés des élèves ?
Derrière le mirage de stage de remédiation, palliant les redoublements, et d’un tutorat des élèves pour mieux les orienter, se posent les mêmes questions de moyens. Qui assurera en effet des stages de remise à niveau sur le temps des vacances ? Imagine-t-on sérieusement qu’il soit possible que tous les élèves d’un établissement aient un tuteur-professeur susceptible de les aider dans leur orientation, alors que les professeurs ne sont absolument pas formés et compétents en la matière, et ne voudraient en aucun cas participer au licenciement de leurs collègues, conseillers d’orientation et psychologues !
Derrière les belles étiquettes, dérisoire poudre aux yeux, ne nous leurrons pas, c’est une logique d’économies méprisant élèves et personnels d’éducation qui est en jeu.
Des économies scandaleuses
- Des postes en moins
Ce sont d’ores et déjà 345 nouveaux emplois qui sont menacés dans notre académie à la rentrée prochaine, 16 500 dans toute la France, logique qui a déjà conduit depuis 2007 à la suppression de 45 000 postes à l’éducation nationale !
Les postes ouverts aux concours publics d’enseignement sont peau de chagrin, alors que la tendance est au recrutement accéléré dans le privé !
L’objectif affiché de non reconduction d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux peut-il faire oublier que c’est le démantèlement des services publics qui est une fois de plus à l’œuvre ?
D’ores et déjà , sur 5 conseillers d’orientation partant à la retraite, seul un unique poste est reconduit !
- Un enseignement de moindre qualité, sans cohérence
Scandale : la formation des nouveaux collègues disparaît. Ceux-ci passent d’une première année où ils effectuaient jusqu’ici 6-8 h d’enseignement, épaulé par une formation pédagogique le reste de la semaine, à la prise en charge de 18h de cours (soit un temps plein !), saupoudrés de stages, pendant lesquels des personnels non diplômés prendront en charge les élèves du professeur stagiaire !
Une orientation au rabais : Les nouveaux enseignements dits « d’exploration », passant de 3h par semaine actuellement à 1h30 avec la réforme, loin d’aider à l’orientation, empêcheront un travail approfondi dans les options proposées. Et comment proposer manipulations et travaux pratiques sans l’assurance de dédoublements ?
Une réduction de la formation disciplinaire : on ne peut que constater les réductions nombreuses d’heures de cours dans la majorité des disciplines. Ainsi, en seconde, le français, l’histoire-géo, les SVT, les sciences physiques perdent une demi-heure par semaine pour dispenser leurs enseignements. En Première L, les maths ne font plus partie d’un enseignement obligatoire, la Première S perd 1h de physique, la Première ES perd des heures dans sa spécialité ! En Terminale, les S n’ont plus d’enseignement en histoire, les L perdent 1h en langues vivantes, les ES 1 h en SES ! Quant aux sections techniques, ce sont les grandes oubliées : on ne connaît pas même encore leurs grilles horaires …
- Une école de plus en plus inégalitaire et disloquée
La menace est de plus en plus perceptible d’une dérégulation du cadre national qui répartissait jusqu’ici les moyens et les enseignements de la même façon, quels que soient l’établissement ou l’académie.
Un lourd enjeu de la réforme Chatel est en effet d’introduire une flexibilité de l’offre dans les établissements avec, concrètement, un tiers des horaires des élèves en seconde attribués selon des logiques locales, différente dans chaque lycée ! Derrière la belle appellation « d’autonomie des établissements », c’est là encore une porte ouverte à des logiques discriminantes selon les établissements et les élèves qui se met en place. Et ce d’autant plus que la carte scolaire est supprimée !
Derrière l’illusion d’une formation individualisée selon les besoins de l’élève se révèle clairement la volonté d’en finir avec une même école pour tous, qu’un cadre national des études tentait de garantir.
La disparition des BEP sans ouverture de CAP en nombre suffisant, la disparition d’une année complète d’études en Bac Pro il y a deux ans, nous laissent clairement apercevoir le peu d’intérêt que les classes dirigeantes accordent aux élèves qui voudraient d’autres parcours !
Le renforcement d’heures de cours en classe entière, selon des effectifs de classe de plus en plus chargés, aura des conséquences désastreuses sur les élèves les plus fragiles ; et nous n’aurons plus le temps de leur accorder attention et soutien.
Tout projet éducatif est indissociable d’un projet de société : ne soyons pas dupes des logiques de discrimination à l’œuvre dans cette réforme, et refusons ensemble les contours d’une éducation toujours plus inégalitaire !
Les revendications de la CNT
- Retrait de la réforme Chatel
- Pas plus de 25 élèves par classe
- Rétablissement des postes supprimés
- Rétablissement et amélioration de la formation des professeurs stagiaires
- Amélioration de la formation continue
- Valorisation d’une école polytechnique qui offre de vrais choix dans les enseignements techniques, physiques et manuels
- Prise en compte des élèves en difficultés par des dispositifs cohérents de remédiation, ouverts sur des pédagogies innovantes, type Freinet.
Sophie, professeur de français en collège-lycée