Voici le texte d’accueil placé à l’entrée de la salle où j’ai assisté il y a quelques jours à une représentation du spectacle Le voyage de Pénazar.
(D’ailleurs ce texte ne m’a pas simplement accueilli, il m’a littéralement “cueilli”…)
Nous avons commencé une aventure dans cette ville, et nous ne pourrons pas la mener sans vous. La compagnie est née en 1986, avec des artistes venus d’horizons différents. Les spectacles sont joués en France et dans le monde : cela nous fait découvrir d’autres cultures, d’autres façons de vivre et de mourir. En vingt ans le monde a changé : nous avons besoin de trouver de nouvelles manières de nous réunir et de nous parler.Chacun de vous à des amis, des amours, de la famille, des collègues de travail. Quand vous êtes ici, vous êtes séparés d’eux, alors que la seule question du théâtre est : comment vivre ensemble ? La vocation du théâtre est qu’une histoire entre en contact avec une communauté de gens qui essayent de vivre ensemble, qu’elle se mélange au tissu des relations humaines de tous les jours et qu’elle aide à trouver un équilibre. S’il n’y a pas de communauté dans la salle, la moitié du but est manqué. Depuis qu’il est né, il y a plusieurs milliers d’années, le théâtre a toujours eu la même raison d’être.Après vingt ans de créations et de voyages, nous voudrions participer à la création d’une communauté de vie. Ce soir nous sommes ensemble dans la salle, mais 90 % des gens qui vivent en France n’ont jamais été au théâtre de leur vie, alors que les spectacles sont faits pour eux. Quand on essaye de répondre à cette question avec la presse, les abonnements, les campagnes publicitaires, cela ne marche pas : génération après génération, ce sont sensiblement les mêmes qui entrent dans les salles. Pourtant, au théâtre, nous avons besoin les uns des autres, on ne pourra pas changer ça. Le théâtre doit s’adresser à une communauté, et si elle est déchirée, il doit essayer de la recoudre.Vous qui venez au théâtre, avez-vous envie de le faire découvrir à votre coiffeur, aux copains de vos enfants, à vos parents, vos voisins de paliers, au patron de votre bistrot, à votre boulanger, votre marchand de bicyclette, votre marchand de légumes, votre ennemi juré, votre ostéopathe, votre ami, votre professeur de taïchi, aux inconnus avec qui vous parlez dans le bus ? Cela ne se fait pas en une semaine, ni même en un an : il faudra des années de patience.
Nous voulons tenter une chose simple : d’ici quelques années, nous allons jouer six mois par an, du mardi au dimanche. Vous pourrez découvrir les spectacles du répertoire, les nouvelles créations, et la vie que nous menons en faisant du théâtre dans la même ville que vous. Si vous voulez emmener ici des gens qui n’y mettraient pas les pieds sans vous, si vous avez envie de participer à ce vaste chantier, dites-nous ce que vous pensez qu’il faut faire : nous avons mise des livres dans le théâtre, pour que vous puissiez nous écrire.
Au théâtre, on ne comprend pas le texte quand on le lit, mais quand on le joue. Vous êtes la plaque sensible, qui nous révèle le sens du texte, simplement en l’écoutant. Vous êtes notre intelligence. Plus il y a de personnes différentes dans la salle, plus la compréhension des histoires est profonde. En ce moment, nous avons un besoin urgent de comprendre ce qui est en train de nous arriver, et d’inventer des façons de vivre ensemble.
(Note : le texte n’est pas signé mais je reconnaître le verbe et la plume de François Cervantes,
auteur et metteur en scène qui dirige la compagnie l’Entreprise)
Fort, non ? Je vais garder un œil attentif sur cette compagnie qui s’est donc installée en résidence plusieurs mois par an à la Friche de la Belle de Mai.
De “recoudre une communauté” à “reboiser l’âme humaine“, il n’y a qu’un pas que mon esprit a franchi allègrement, en me rappelant un autre fervent défenseur de ce théâtre à vocation sociale : Marcel Notargiacomo, initiateur et responsable de la Compagnie de théâtre Traction Avant. Coïncidence (ou pas !), c’est d’ailleurs sur le site de la Friche qu’a été publié son manifeste de 1998. Comme il semble avoir disparu de la toile, je participe à la sauvegarde du bien commun en le republiant dans le lien ci-dessous !